Inventaire des souvenirs
cabinet de curiosités
Laboratoire des décantations
Pour mener à bien mes recherches, je me suis d’abord imposé un cadre, un protocole de recherche passant par des lectures, des expériences de chimie, par la compréhension des constituants de la matière, du moléculaire au bulbaire, de l'organique au minéral… La poétisation de la science m’est apparue comme un univers de petites consolations, comme autant de remèdes à la déception du visible et au désir de voir plus, de voir au-delà, dans l’invisible, dans ce que notre quotidien rend invisible. Dans mon esprit, ce monde archéologique en friche se hiérarchise sur les étagères d’un cabinet de curiosités. J’ai commencé à fabriquer des petits objets aux formes primaires et initiatiques aux motifs géométriques anciens, j’ai combiné diverses sortes de cristaux comme des reliques. J’ai modelé avec de la terre crue des combinaisons atomiques et moléculaires. J’ai fantasmé les fabuleux dessins de Kepler, j’ai détourné des instruments pour créer des oscillations mécaniques. J’ai exploré de vieilles reproductions de manuscrits de mathématiques, reconstitué des boîtes optiques et des instruments de mesure. Je me suis plongé dans toutes sortes de récits traitant de l’orientation et des flux.
Juste avant la période de la pandémie, je me suis mis à travailler des volumes grâce au procédé de l’inclusion. Les fossiles, les météorites, les pierres géométriques, les globes de sélénite, les résidus de poussière, tout ce que j’avais accumulé me semblait contenir des pouvoirs. J’ai imaginé des polyèdres irréguliers en résine à partir de sel, de poudre de quartz et de métaux. J’étais alors fasciné par l’idée de fabriquer des copies, de mimer par un procédé industriel les croissances naturelles. J’ai enfermé dans des caissons lumineux des fragments de matières qui me semblaient posséder des propriétés irradiantes. J’ai commencé à travailler sur les « éléments » et j’ai développé les « univers », des visions rétrécies de mondes fantasmés s’inspirant à la fois des mythes de l’univers et de L’ADN de la matière.
Contemporanéité
Les travaux du physicien Jean-Pierre Luminet sur les rapports entre art, science et imagination géométrique m’ont également permis de me persuader que les intuitions créatives et les correspondances entre l’infiniment grand et l’infiniment petit existent, que les choses sont liées par le temps et que l’on se greffe naturellement dans ses interstices. Probablement parce que nos constituants ont peut-être une seule et même origine.
« Après les revendications d’un Kepler, d’un Einstein et de tant d’autres, le mathématicien Roger Penrose a insisté sur le rôle de l’esthétique dans le choix et l’évaluation des théories scientifiques en affirmant : « C’est une chose mystérieuse que ce qui apparaît élégant a de meilleures chances d’être vrai que ce qui est laid ». Faut-il interpréter cette troublante remarque sous l’angle de la science ? Robert Filliou lui opposerait la joie de la « création permanente », une éthique du regard et de l’observation, une jubilation substantielle qui tient moins de la recherche de la vérité que de l’émerveillement que suscite l’idée même de la découverte.
Ce qu’il y a de fascinant dans les propos de Jean-Pierre Luminet, c’est que tout ce rapport au monde, toutes ces spéculations de l’histoire trouvent des correspondances inouïes avec les préoccupations les plus actuelles et les plus complexes de la science contemporaine. L’auteur pose tout l’enjeu de cette dialectique de la pensée et de la recherche traitant du rôle à la fois historique et présent de l’imagination géométrique dans les recoupements entre découverte scientifique, création et comportements sociaux.
De ce point de vue, les intuitions développées depuis la Renaissance auraient suivies un fil conducteur amenant à la théorie de la relativité générale et affirmant que l’espace possède une structure géométrique caractérisée par sa courbure et sa topologie. Certains modèles de la cosmologie la plus contemporaine envisagent la possibilité que l’espace soit d’une certaine manière polyédrique, et que l’arrangement du ciel relève d’une véritable « mathématique cosmique », signalant des corrélations entre la distribution tridimensionnelle des objets célestes lointains et la structure des particules.
Cette part de doute, de vérité et de contemporanéité est prodigieuse. Dans une large mesure, elle nous renseigne sur notre manière d’appréhender notre rapport à l’environnement, inné ou acquis.