Alain-Jacques Lévrier-Mussat : La mémoire décantée.

 

 

 

« (…) Il n’est rien qui imprime si vivement quelque chose en nostre souvenance que le désir de l’oublier ».

 

Montaigne.

 

 

Si la mémoire est ce qui demeure une fois tout oublié, c’est peut-être qu’elle procède d’opérations de décantation. Non pas que celle-ci filtre ou épure, sépare pour ainsi dire le bon grain de l’ivraie ; mais qu’elle fragmente, sectionne pour construire un autre souvenir.

L’atelier dans lequel Alain-Jacques Lévrier-Mussat dissèque les éléments de ce qu’il nomme une « équation », est un laboratoire expérimental où se recomposent des tableaux à la fois abstraits, conceptuels et intimes. Les termes de cette équation se déclinent et se combinent dans des productions esthétiques propres à reconstruire une mythologie personnelle.

Lorsque l’artiste triture le pigment outremer, il se défend de vouloir emprunter à d’autres (Yves Klein pour ne citer que lui), la dialectique de « l’imprégnation vers l’immatériel ». Il justifie ses choix esthétiques par l’irradiation du pigment et procède par retranchements. Les manipulations chimiques (dilution, décomposition,…) effectuées sur ce bleu, instable et sensible aux variations extérieures, engendrent une palette dont la base, même altérée, demeure.

Un processus identique concerne le traitement du livre, décanté dans des bains acides, colorés ou scellé dans du ciment. D’aucuns interprèteront ces gestes comme signes d’un autodafé. Pourtant, obsessionnellement, le livre demeure, la page, l’écriture. Dans toutes ses désinences, il gît dans le tableau. A moins que ce dernier, troué de vasques quadrangulaires, ne transforme le volume en puits.

Mais quel puits? Un puits de science? Un trou profond et oublieux ? L’artiste conscient des limites du savoir et de ce que la mémoire en conserve, sélectionne les ouvrages. Point de romans, point d’identification possible à des personnages fictifs. Les sciences, la philosophie, les sciences politiques, des condensés théoriques, techniques et pédagogiques sont la lie de ses travaux. Certains bénéficient d’un traitement de faveur. Il copie en effet certains passages - pendant longtemps de façon rituelle - pour conserver des bribes de contenus.

Le savoir, l’objet livre, ses fonctions, sa symbolique, les signes qui manifestent sa présence se subordonnent à la mémoire, à la vanité et au temps.

La mise en page géométrique et la récurrence d’un troisième terme de l’équation - le carré ou plus précisément une vasque - confèrent à l’œuvre un supplément d’abstraction et de profondeur.

Alain-Jacques Lévrier-Mussat agence ce qu’il présente comme ses « contradictions » : une démarche initiale intuitive, processuelle et la théorisation d’un concept quasi mathématique. Il en résulte une esthétique presque minimaliste, une poétique née du résidu, de la relique.

 

                                                       

                                                        Sandra Métaux. Doctorante en histoire de l’art